Billet d'humeur : la trahison de Seiya
Putain ! Si les bande-annonces ne vous ont pas déjà mis au parfum, prenez garde à cette nouvelle itération de Saint Seiya version Original Netflix. Je m'attendais à ce que ce soit mauvais pour un tas de raisons dans les partis pris aussi bien esthétiques que narratifs, MAIS j'avais tout de même bon espoir de retrouver un minimum du caractère solennel, poétique et noble du manga original et surtout du sublime animé de 86... Et bien, le comité de production de ce dessin-animé s'est bien torché le cul avec.
Faisons franc et simple, ce nouveau Saint Seiya, que j'appellerai comme il le mérite Knights of the Zodiac est purement et simplement une retake à l'américaine, avec un cahier des charges à remplir à l'américaine, pour les kids américains dotée d'une dynamique et une écriture à l'américaine qui lui donne des airs de mauvaise production Marvel. Ce n'est pas permis que Masami Kurumada lui-même ait validé et produit ça avec la Toei... Quoi que si, finalement, quand je constate avec amertume à quel point il participe activement à la mise à sac de sa propre œuvre après avoir renié les magnifiques ajouts à son hypermythe que sont The Lost Canvas de Shiori Teshigori, les St Seiya: Episode G de Megumu Okada, et le Tenkai-hen jôso de Shigeyasu Yamauchi, je trouve une certaine logique et continuité décadente qui conduit à ce nouveau résultat. On me glisse dans l'oreillette que Kurumada ne comprend pas le succès de son propre manga, qu'il estime comme étant un ratage, une raclure de bidet et s'amuserait à saboter lui-même la franchise pour pousser le public à s'intéresser à son Ring ni kakero qu'il estime cent fois plus qualitatif. Knights of the Zodiac est donc ni plus ni moins qu'une appropriation culturelle à un degré régressif, Saint Seiya vu et fait par les Américains, malgré une noyade sous les noms japonais du générique pour faire passer la douille auprès d'un public enclin à tout pardonner dès lors qu'il s'agit d'un produit nippon, c'est pour dire à quel point le spectateur est bien considéré.
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Les vrais. |
Ça peut paraître étonnamment péteux, mais les Américains n'ont pas cette culture de la sensibilité tragique très caractéristique des œuvres japonaises. S'ils apprécient les mangas, découverts tardivement, ils n'en comprennent pas la noblesse, l'aspect majestueux et grotesque, la dimension dramatico-tragique apparentée à un spleen nostalgique atmosphérique. La différence de sensibilité et de culture ne leur permet pas d'avoir ce prisme d'appréciation et d'appréhension. Les Japonais ont un sentiment très particulier qu'ils appellent le "higeki" qu'on peut traduire comme le "tragique", distillé dans tous leurs aspects culturels, que ce soit du manga à la musique (le visual kei est justement un mélange de grotesque et de higeki dans son concept). C'est autant un courant artistique qu'un mood propre que l'on retrouve également chez les cultures françaises et espagnoles apparenté à la saudade, un mélange étrange de joie et de mélancolie dans une bulle nostalgique. Ce n'est pas pour rien que les Français et les Espagnols sont les plus gros consommateurs de mangas et de J-music après le Japon... et c'est aussi pour ça que le City Hunter/Nicky Larson de Philippe Lacheau a été aussi bien accueilli par le public connaisseur français ET japonais parce que non seulement il a adapté City Hunter avec une connaissance et un amour absolus du manga original, de l'anime et de la nostalgie Club Do, mais en plus parce qu'il a cette sensibilité qui rend hommage au travail de Tsukasa Hojo. Je digresse.
Moi qui ai grandi avec le vrai Saint Seiya, je ne peux pas comprendre une seule seconde qu'on ait pu à ce point voulu donner cette version pour enfants et assumée comme telle, comme porte d'entrée à cet hypermythe épique. Entre le chara-design piqué à Pat' Patrouille, les situations à la NinjaGo, les personnages qu'on ne reconnaît même plus tant ils sont dénaturés et vidés de leur substance, de leur noblesse chevaleresque, l'ajout lourdingue d'un nouvel antagoniste méchant campé dans un archétype de chef de multinationale avide de pouvoir, les nouveaux chevaliers noirs dénués de charisme et de personnalité devenus des PNJ transgéniques alors que leur représentation originale était de confronter les héros à leur côté obscur, l'irrespect du pauvre Cassios et des autres chevaliers de bronze, la majestuosité et le grandiose des Galaxian Wars troqués pour un fight club clandestin dans un hangar désert, ou encore l'humour au forcing (Seiya qui se prend le chou avec une plaque d'égout qui parle, PUTAIN)...
Quant au changement de genre de Shun d'Andromède, c'est au même niveau d'incompréhension. Je sais que le politiquement correct est exigé mais dans ce cas précis, on tombe dans l'anti-progressisme pur. Avoir changé Shun en fille par souci de parité a été leur pire erreur de direction artistique... Quitte à avoir une fille dans l'équipe, autant en rajouter une ou changer le sexe d'un ultra-viril comme Ikki à la limite, pour donner le change.
Changer le sexe de Shun, ça implique de réfuter cette autre vision de la virilité que proposait le personnage... Qu'être un homme ne se résumait pas aux muscles, à foncer dans la bagarre mais que ça pouvait aussi se conjuguer avec cette sensibilité, cette noblesse de ne pas vouloir blesser son adversaire et pourtant ne jamais hésiter à se sacrifier pour les siens, qu'on peut être androgyne et viril. Parce que soyons honnêtes, Shun♀ avec ce caractère, on tombe dans le cliché à bannir de la greluche en détresse et Saori tient déjà ce rôle à merveilles. Donc Shun♀devient par la force des choses une fille forte, courageuse et entreprenante qui n'a pas froid aux yeux... L'inverse complet de Shun♂.
Le questionnement de la virilité était au cœur-même de la caractérisation de Shun♂ et même plus globalement dans l'œuvre Saint Seiya. On parle d'un manga qui osait casser les archétypes de l'ultra-virilisme en montrant des personnages beaucoup plus en failles. Saint Seiya, ça raconte avant tout l'histoire du passage à l'âge adulte, de l'affirmation de soi, l'enfant qui devient homme et donc l'affirmation de la virilité à une époque où le monde était gavé d'actioners à l'américaine, aux héros bad ass, l'âge d'or des films de gros bras avec Schwarzy, Bruce Willis, Stallone et donc une certaine image validée de la virilité. Saint Seiya débarque avec son casting de garçons qui forment une fraternité, qui osent pleurer, de Shun♂efféminé au possible à Hyoga qui n'a jamais passé son complexe d'Œdipe... Et pourtant ce sont ces personnages-là qui ont appris à beaucoup de personnes et notamment des garçons qu'on peut aussi devenir un homme sans être une montagne, qu'un garçon a aussi le droit de pleurer et que tu peux affirmer une virilité en étant androgyne, en possédant une sensibilité autre que la bagarre et la beauferie. Changer le sexe d'un personnage, comme tout parti-pris radical dans une histoire ne trouve une résonnance et une pertinence qu'à la condition que cela raconte quelque chose, que ça ne soit pas simplement gratuit pour remplir les quotas. Ce n'est pas comme si Saint Seiya n'avait pas déjà son lot de femmes fortes et combatives... On parle quand même d'un manga où les supérieurs des hommes sont des femmes. Ils répondent tous à Athéna, une femme, et lui jurent fidélité sur leur vie. Seiya est formé en tant que Chevalier par une femme. C'était retravailler Saori, Marine et Shaina qu'il convenait de faire plutôt. S'ils osent adapter l'aventure complète, le changement de genre pour Shun finira par poser un problème de cohérence, s'il est d'abord le Chevalier d'Andromède il se révélera également être là réincarnation d'Hadés. Netflix sortira la carte magique du politiquement correct en clamant que les Dieux, en tant qu'entités mythologiques ne sont pas genrés ?
Il reste cependant l'arc narratif du Phénix qui renoue l'espace de quelques minutes avec un zest du charme de l'original et c'est déjà beaucoup dans un tout qui manque cruellement d'émotion, d'epique et d'héroïsme chevaleresque.
Je préfère mettre mes enfants devant la série animée originale, malgré son caractère dur, violent, mélancolique mais terriblement romantique et poétique, et c'est justement grâce à tout ce côté tragique que l'héroïsme en devenait galvanisant. Voir ces chevaliers dévoués à leur déesse et l'amour qu'elle représente, les voir lancés à corps perdus dans la bataille où le sang et la sueur coulent, où les armures et les os se brisent dans de véritables combats homériques où les cœurs parlent aussi fort que les poings... terribles batailles dont nos chevaliers n'ont de cesse de se relever afin de surpasser l'adversaire et soi-même, où la solution n'est jamais la force brute mais l'élévation à un degré supérieur de conscience. Troquer le sang pour la violence des armes à feu ? Vous êtes sûrs de vous, Netflix ?
C'est ça, pour moi, Saint Seiya, une œuvre qui centre le courage et l'héroïsme dans un hypermythe très fort rien que pour l'intérêt qu'il peut lancer sur les mythologies (qu'elles soient méditerranéennes, nordiques ou chinoises). C'est une épopée qui véhicule des valeurs fortes, des histoires lourdes, des archétypes moins communs que dans beaucoup d'autres œuvres de l'époque et même d'aujourd'hui.
Et c'est principalement en ça que Netflix a loupé lamentablement le coche, là où Saint Seiya Omega, également produit de commande et tentative de relance par les studios japonais ciblant les enfants réussissait mieux, particulièrement dans sa saison 2. Une œuvre comme Saint Seiya est importante encore aujourd'hui, peut-être même plus qu'en son temps de parution, par ce qu'elle transmet, par sa force et ses qualités narratives, d'écriture de personnages et de la caractérisation de ceux-ci. C'était important pour le jeune public d'avoir droit à une version de Saint Seiya faite avec les moyens du jour (même si c'est une privation du talent d'animateur de Shingo Araki et Michi Himeno sur l'anime de 86 ainsi que de la composition musicale extraordinaire de Seiji Yokohama entre grandes envolées classiques et ambiances rock progressif) tout en restant impérativement fidèle au sens et à l'essence de l'œuvre originale, pour montrer que l'héroïsme ce n'est pas pas faire des blagues et ne jamais être inquiété d'un quelconque danger autant pour soi que pour le monde comme le veut le standard du divertissement américain depuis plus de 15 ans, aux antipodes du sens japonais. Combo des trois R : Raté, Régressif et Ringard.
Je suis écœuré.
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Les faux de 2014. |
Le questionnement de la virilité était au cœur-même de la caractérisation de Shun♂ et même plus globalement dans l'œuvre Saint Seiya. On parle d'un manga qui osait casser les archétypes de l'ultra-virilisme en montrant des personnages beaucoup plus en failles. Saint Seiya, ça raconte avant tout l'histoire du passage à l'âge adulte, de l'affirmation de soi, l'enfant qui devient homme et donc l'affirmation de la virilité à une époque où le monde était gavé d'actioners à l'américaine, aux héros bad ass, l'âge d'or des films de gros bras avec Schwarzy, Bruce Willis, Stallone et donc une certaine image validée de la virilité. Saint Seiya débarque avec son casting de garçons qui forment une fraternité, qui osent pleurer, de Shun♂efféminé au possible à Hyoga qui n'a jamais passé son complexe d'Œdipe... Et pourtant ce sont ces personnages-là qui ont appris à beaucoup de personnes et notamment des garçons qu'on peut aussi devenir un homme sans être une montagne, qu'un garçon a aussi le droit de pleurer et que tu peux affirmer une virilité en étant androgyne, en possédant une sensibilité autre que la bagarre et la beauferie. Changer le sexe d'un personnage, comme tout parti-pris radical dans une histoire ne trouve une résonnance et une pertinence qu'à la condition que cela raconte quelque chose, que ça ne soit pas simplement gratuit pour remplir les quotas. Ce n'est pas comme si Saint Seiya n'avait pas déjà son lot de femmes fortes et combatives... On parle quand même d'un manga où les supérieurs des hommes sont des femmes. Ils répondent tous à Athéna, une femme, et lui jurent fidélité sur leur vie. Seiya est formé en tant que Chevalier par une femme. C'était retravailler Saori, Marine et Shaina qu'il convenait de faire plutôt. S'ils osent adapter l'aventure complète, le changement de genre pour Shun finira par poser un problème de cohérence, s'il est d'abord le Chevalier d'Andromède il se révélera également être là réincarnation d'Hadés. Netflix sortira la carte magique du politiquement correct en clamant que les Dieux, en tant qu'entités mythologiques ne sont pas genrés ?
Il reste cependant l'arc narratif du Phénix qui renoue l'espace de quelques minutes avec un zest du charme de l'original et c'est déjà beaucoup dans un tout qui manque cruellement d'émotion, d'epique et d'héroïsme chevaleresque.
Je préfère mettre mes enfants devant la série animée originale, malgré son caractère dur, violent, mélancolique mais terriblement romantique et poétique, et c'est justement grâce à tout ce côté tragique que l'héroïsme en devenait galvanisant. Voir ces chevaliers dévoués à leur déesse et l'amour qu'elle représente, les voir lancés à corps perdus dans la bataille où le sang et la sueur coulent, où les armures et les os se brisent dans de véritables combats homériques où les cœurs parlent aussi fort que les poings... terribles batailles dont nos chevaliers n'ont de cesse de se relever afin de surpasser l'adversaire et soi-même, où la solution n'est jamais la force brute mais l'élévation à un degré supérieur de conscience. Troquer le sang pour la violence des armes à feu ? Vous êtes sûrs de vous, Netflix ?
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Les faux de 2019. |
C'est ça, pour moi, Saint Seiya, une œuvre qui centre le courage et l'héroïsme dans un hypermythe très fort rien que pour l'intérêt qu'il peut lancer sur les mythologies (qu'elles soient méditerranéennes, nordiques ou chinoises). C'est une épopée qui véhicule des valeurs fortes, des histoires lourdes, des archétypes moins communs que dans beaucoup d'autres œuvres de l'époque et même d'aujourd'hui.
Et c'est principalement en ça que Netflix a loupé lamentablement le coche, là où Saint Seiya Omega, également produit de commande et tentative de relance par les studios japonais ciblant les enfants réussissait mieux, particulièrement dans sa saison 2. Une œuvre comme Saint Seiya est importante encore aujourd'hui, peut-être même plus qu'en son temps de parution, par ce qu'elle transmet, par sa force et ses qualités narratives, d'écriture de personnages et de la caractérisation de ceux-ci. C'était important pour le jeune public d'avoir droit à une version de Saint Seiya faite avec les moyens du jour (même si c'est une privation du talent d'animateur de Shingo Araki et Michi Himeno sur l'anime de 86 ainsi que de la composition musicale extraordinaire de Seiji Yokohama entre grandes envolées classiques et ambiances rock progressif) tout en restant impérativement fidèle au sens et à l'essence de l'œuvre originale, pour montrer que l'héroïsme ce n'est pas pas faire des blagues et ne jamais être inquiété d'un quelconque danger autant pour soi que pour le monde comme le veut le standard du divertissement américain depuis plus de 15 ans, aux antipodes du sens japonais. Combo des trois R : Raté, Régressif et Ringard.
Je suis écœuré.
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