Billet d'humeur : Requiem pour Godzilla


Shin Gojira, 2016. Tout droit sorti des cauchemars d'H.R Giger.

Depuis quelques jours est sorti sur les écrans du monde entier la nouvelle aventure, par les studios Warner, du lézard atomique le plus emblématique de l'histoire du cinéma. Après un premier trailer qui m'a bien aguiché avec un montage astucieux de magnifiques visuels sur la mélodie grandiose de Debussy, Claire de Lune, il semble y avoir tromperie sur la marchandise. Loin de la fibre poétique de ce premier trailer menteur, Godzilla II: Le Roi des Monstres, du tâcheron Michael Dougherty, s'avère être une énième production pyrotechnique américaine, mal jouée, mal écrite, désincarnée et trop forceuse sur ses thèmes effleurés pour être honnête. Détruit par la presse, la résistance des fans s'est mise en place argumentant qu'on ne va pas voir un film de Kaiju (le genre du monstre géant) pour son scénario ou ses enjeux humains. Je bondis, je réagis, j'attaque.

Recontextualisation.

Comment des producteurs et des scénaristes américains pourraient comprendre ne serait-ce que la sève anxiogène de Godzilla ? Alors que le monstre lui-même n'est que le résultat d'une peur ancrée dans la mentalité japonaise d'après-guerre... PAR les Américains.

On me dit que Godzilla n'effraie plus personne depuis le film de 1954 par Ishirō Honda et qu'il n'est devenu qu'une parodie pour enfants, un Casimir en costume de vinyle bon pour de la production cheap et grotesque. Je réponds : Faux. Le "requel" de 84, Retour de Godzilla, à la fois suite de l'original de Honda et reboot initiait le monstre à la période Heisei où l'atmosphère anxiogène et apocalyptique revenait au premier plan, où le cataclysme privilégiait à nouveau le drame humain, même dans les autres films de cette période des années 80~90 où on l'a vu affronter Biollante, Destroyah, Mechagodzilla, King Gidorah et Mothra.


Le nouveau reboot de la Toho (une  des plus importantes maisons  de production japonaises à qui l'on doit Godzilla et les films cultes d'Akira Kurosawa) Shin Gojira, d'Hideaki Anno (Neon Genesis Evangelion, stp) et Shinji Higuchi de 2016 était effrayant, angoissant, apocalyptique, misanthrope et faisait ce qu'aucun Godzilla outre-Atlantique n'est capable de faire au profit du "gros" spectacle... S'appuyer sur un script solide pour recentrer le drame humain à travers le prisme de la crise écologique autour de laquelle s'articule un véritable manège politique moqué et mis à mal. 
Si Godzilla est né du traumatisme du bombardement atomique par les USA et Shin Gojira de la catastrophe de Fukushima, deux traumatismes nucléaires du peuple japonais, Legendary's Godzilla des studios Warner Bros n'est né que de l'appât du gain. Pourtant je salue la démarche dramatique et pleine de noblesse de Gareth Edwards, classe anglaise oblige...

Quand je vois la majorité du public qui ressort de Godzilla II, soutenant avec ferveur qu'on ne va pas voir un Godzilla pour la qualité de son scénario ou la dimension tragique du genre humain mise en avant, je tombe sur le cul. On a les blockbusters qu'on mérite, assurément... Qu'on continue à se gargariser avec ce genre de "gros" spectacle bas-du-front, grossier, qui se targue d'arguments écologiques sans foi ni cohérence pour vite les jeter à la poubelle comme on coche une case d'un cahier des charges afin de servir de prétexte à une pyrotechnie numérique indigeste pour épileptiques. 

J'ai même lu un article assez premier degré et bien pensé faisant état du parallèle entre l'augmentation de la taille de Godzilla depuis quelques années à l'écran en corrélation avec l'importance anxieuse du public, de sa peur grandissante vis à vis du futur. Oui, la croissance incroyable de Godzilla est proportionnelle à la peur dans l'inconscient collectif, au risque d'extinction imminente autant par l'arme nucléaire que par la destruction de l'environnement. Godzilla et climat anxiogène ont toujours rimé comme je l'ai exposé quelques lignes plus haut. Mais plus vicieux, tu peux aussi y voir l'apologie du consumérisme et de l'obsession à l'américaine de toujours faire plus grand et gros qu'autrui, d'où le fait que leur Godzilla se veut à deux reprises plus grand que ses précédentes incarnations. Une augmentation proportionnelle à l'envie de renflouer les caisses par des studios hollywoodiens comme Warner, par exemple. Un simple concours de bites qui défigure le mythe, je pense que je ne peux pas mieux résumer qu'avec cette phrase.


Je suis salé. Très salé. Parce que j'en ai ras-le-bol de voir ce genre d'icônes du cinéma, qui portent quelque chose de fort et important depuis leur création, se faire abîmer par les majors hollywoodiennes, détournées en Vaudeville pour rendre encore plus gras un public qui ne se nourrit que de cinéma fast-food afin de brasser toujours plus de pognon sur leur dos. Où est le cinéma ? Alors qu'avec cette créature, ce concept du film de monstres, on peut avoir tellement de choses à écrire, à raconter. Les dents de la mer n'est pas culte pour rien. La guerre des mondes, non plus.

Oui, voir Godzilla devenir un énième film lisse, convenu, vulgaire sous le joug des studios Warner Bros, qui ont saccagé les plus grandes icônes de la culture comics depuis leur pitoyable nanar Justice League, ça me rend salé. Très salé. Peut-être même pimenté. J'ai pas crisé comme d'autres l'ont fait avec les deux Jurassic World parce que je n'ai pas d'attaches particulières avec Jurassic Park, mais là, c'est trop. Le Godzilla de 98 façon ketchup et sauce barbecue du tâcheron et maître des désastres Roland Emmerich, que je trouvais déjà nul à 10 ans, était quelque chose qu'on ne voulait jamais revoir et malheureusement, même caché sous un bel enrobage, celui de 2019 réitère l'exploit. T'auras beau mettre du Nutella sur une merde, ça reste de la merde.

Contrairement au premier Pacific Rim de Guillermo del Toro qui était une déclaration d'amour à la culture manga des années 70 et 80, aux créations de Gō Nagai (Mazinger Z, Goldorak, Great Mazinger), ou du Legendary's Godzilla de Gareth Edwards humble et noble qui a servi de terreau malgré lui pour une exploitation dégueulasse, on n'a pas à faire à un hommage rendu à la pop-culture japonaise mais bien à son américanisation.

Je voulais t'aimer, Godzilla II.

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