Interview exclusive : Rou Reynolds, la tête pensante, la voix fédératrice d'Enter Shikari

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Lors du passage parisien d'Enter Shikari à l'Elysée Montmartre le 2 décembre dernier, j'ai eu l'opportunité de rencontrer Rou Reynolds, chanteur et multi-instrumentiste du groupe, afin de lui poser mon petit tas de questions pensées pour l'occasion, on parle évidemment de The Spark, de la tournée anniversaire pour les 10 ans de Take to the Skies, Donald Trump ou encore de Game of Thrones. 

Pour la petite anecdote, mon histoire avec Enter Shikari est plutôt forte, liée majoritairement à un combat contre la dépression et des traversées particulièrement douloureuses. J'ai connu le groupe au lycée fin 2007, leur son complètement OVNI à l'époque m'avait mis une véritable claque et l'authenticité que dégageait le groupe avec toute cette énergie bruyante et bordélique me rappelait l'âge d'or du punk anglais, celui qui avait des choses à crier durant une époque de crise sociale. L'indépendance totale du groupe via leur volonté de rester hors des circuits traditionnels l'entourait, et l'entoure toujours, d'une aura d'électron libre à contre-courant de tout, bravant modes et attentes, et ça, ça me parle. Nous voilà dix ans après, Enter Shikari est plus que jamais présent avec sa dénonciation du consumérisme de masse, des politiques radicales et liberticides, de ce monde en guerre et en repli constant sur soi. Rien n'a changé... ou presque.

Je pense que pour commencer, je n'ai pas mieux que te parler du titre de ton dernier album avec Enter Shikari, The Spark. The Spark, l'étincelle, mais l'étincelle de quoi ? Quel feu souhaites-tu allumer avec ? Tu peux m'en dire un peu plus ?

Pour moi, c'est une étincelle d'espoir. Je pense que dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, les gens perdent peu à peu cet espoir, on peut le voir avec notamment la montée de la violence, de la peur, ce qui conduit des gens horribles comme Donald Trump au pouvoir. On conditionne tellement les peuples, ils sont si étouffés qu'ils ne savent plus exprimer leurs sentiments, tu le vois avec les crises sociales, de plus en plus de gens en dépression et qui ont des conduites à risques. Ce que j'ai voulu faire passer avec The Spark, cette étincelle d'espoir, c'est de rappeler qu'on doit garder le cap, qu'on doit se servir du bon en nous et de notre énergie pour une bonne cause. C'est sûrement l'album où je fais le plus référence à la politique, on a eu le Brexit, la montée des partis extrémistes en Europe, la crise migratoire, évidemment Donald Trump aux USA... parce que c'est source d'une angoisse massive et les gens ont plus que jamais peur d'envisager un futur. Je veux parler de cette étincelle aussi pour tenter de désamorcer les comportements ou les milieux toxiques dans lesquels on ne fonctionne que par les sentiments négatifs, où les enfants n'ont, par exemple, pas le droit de pleurer parce que tu comprends "un mec, un vrai, ça pleure pas" et c'est ce genre d'environnements qui crée des personnes horribles... comme Trump. S'il est arrivé au pouvoir c'est parce que cette foule derrière lui est motivée par la colère et a besoin "d'un vrai bonhomme". La colère c'est bien mais ça reste primaire et irréfléchi. Je souhaiterais vraiment aider tous ces individus à retrouver et à garder ce sentiment d'espoir, que rien n'est perdu, qu'ils prennent conscience qu'on est tous connectés, pour de vrai et pas juste virtuellement. J'aimerais pousser les gens vers une voie positive, les amener à devenir activistes pour améliorer leur situation ainsi que celle des personnes qui les entourent. C'est à nous de bouger, rien ne se fera tout seul et il ne faut pas compter sur les politiques pour le faire, oh non.

J'ai pu remarqué que The Spark est effectivement un fin mélange de constat socio-politique et de sentiments plus personnels, est-ce qu'on peut parler de l'Anxiété ? C'est un sujet qui ressort pas mal sur l'album. Tu sais depuis quelques mois on peut voir la parole se délier, notamment sur les réseaux sociaux, sur ce sujet grave, on ose enfin parler de sa souffrance sans détour et j'ai cru comprendre que tu étais toi-même passé par-là récemment. Quels conseils tu pourrais donner à ces personnes qui se battent contre la dépression, l'anxiété ?

Ouais, je savais pas jusqu'à récemment ce qu'était de vivre l'anxiété. Ça remonte à 2015, j'étais tellement fatigué, je ressentais et me mettais sûrement beaucoup trop la pression, j'ai eu des crises de panique, tout un bordel pas possible au niveau de mes humeurs, je suis tombé en dépression... et tout ça en l'espace d'un an, c'était très violent. C'est ce dont parle la chanson 'Live Outside', ce désordre interne, cette sensation de se noyer en soi et surtout l'envie de vivre en-dehors de sa propre tête, loin de tout ça.


Si je te dis que je vois en The Spark une sorte de boîtes de 12 outils qui permettent de s'armer justement pour mieux se confronter à l'anxiété, t'en penses quoi ?

Ouais ! La musique est un moyen si brillant de combattre l'anxiété ! La musique est comme une dictature parce qu'elle crée en toi une émotion quand t'en écoutes, que t'aimes ou pas tu ressens quelque chose obligatoirement, tu peux pas y échapper. C'est incroyablement puissant. La plus grande chose avec la musique c'est qu'elle est méditative, elle arrive à concentrer ton esprit sur le moment d'un beat à l'autre et donc tu arrives à échapper à tes angoisses, à te fortifier pour mieux te battre et donc à remonter la pente.

La dernière tournée d'Enter Shikari était pour l'anniversaire des 10 ans de Takes to the Skies, votre premier album. C'est assez drôle de voir que tout a commencé avec ce disque, un cycle d'une décennie qui s'achève avec cette tournée spéciale et un autre qui commence avec The Spark qui sonne comme un nouveau départ. Nouvelle approche musicale, musiciens qui ont grandi autant humainement qu'artistiquement. Ça fait quel effet tout ça ?

C'est plutôt dingue ! Take to the Skies est un album unique et complètement fou, on n'en refera jamais un comme ça, on ne pourra jamais tenter de reproduire qui on était il y a 10 ans. Pour moi la meilleure chose qui arrive quand tu joues en live, c'est d'interpréter de nouvelles chansons, celles qui décrivent qui tu es maintenant. Je crois que plus que sur n'importe quel autre de nos albums, The Spark est une remise à zéro, comme un reboot. Il sonne très différemment, il a un look différent aussi dans toute son esthétique, c'est très frais.


Je me souviens qu'après The Mindsweep en 2015, on a eu droit quelques mois plus tard à The Mindsweep: Hospitalised, tout l'album remixé par des artistes et DJ du milieu electro. Tu crois que The Spark connaîtra le même procédé mais plutôt avec une déclinaison entièrement acoustique ? Cet album s'y prêterait plus que parfaitement.  

On fait déjà quelques sessions acoustiques en live mais ouais j'aimerais beaucoup faire ça, c'est une  idée très cool.

D'ailleurs quelles sont les influences majeures de ce nouvel album ? Qu'est-ce que tu as beaucoup écouté pendant l'écriture et la compo ?

Je pense que la plus grosse influence de The Spark c'est clairement le post-punk et on a voulu faire notre propre post-punk. Avec le temps on a ressenti de plus en plus de frustration à être connus uniquement comme un groupe noisy qui gueule tout le temps... alors oui ! On a la colère, on a le bruit, on a la passion mais on a aussi quelque chose de plus délicat et beau à transmettre, enfin j'espère. Avec ce disque je veux combiner les deux, balancer de la colère mais avec délicatesse. C'est l'écho de ces groupes de punk dans les années 80 qui en avaient marre de faire hurler les guitares et dire qu'il n'y avait pas de futur. Ils ont commencé à se concentrer davantage sur les mélodies, sur le chant, à amener des sons de synthés comme Depeche ModeJoy DivisionThe Sound, ce genre de période... J'écoute aussi des sons britpop et ça m'a pas mal influencé également, comme Blur mais aussi de l'electro, de la drum'n'bass...

C'est quoi ton meilleur "Shikari souvenir" ?

Oh, wow. J'ai ma petite sélection, notamment sur des GROS événements comme la première fois sur la Main Stage d'un festival et j'étais genre "Woooooaaaaw !" face à ce truc gigantesque, c'est un quelque chose dont je rêve depuis gamin, quand je voyais des groupes sur ce genre de scènes. C'est imprimé en moi pour toujours. De l'autre côté j'ai aussi gardé en tête des moments plus intimes, des conversations avec des gens qui me disaient à quel point Enter Shikari les a aidés durant des périodes difficiles et ça pour moi ça a le même impact que de jouer sur une immense scène, cette connexion que l'on peut avoir avec les gens.

Changement radical de sujet mais il paraît que tu as dit que "Rou" était le nom d'un des premiers rois de Westeros, alors je te pose LA question : Qui va gagner à la fin de Game of Thrones, qui montera sur le fameux Trône de Fer ?

(rires) Oui, je devrais être Roi de Westeros ! Ça doit être Daenerys, pas vrai ? Depuis la première saison je suis pour Tyrion, c'est LE mec de cette histoire, je l'adore tellement ! Pour moi c'est lui qui devrait être sur le Trône de Fer. Dans le genre inattendu, je pense que Samwell Tarly pourrait carrément le faire aussi. Avec ses connaissances auprès des mestres, il pourrait être si relax et surtout très juste.

T'en es fan depuis quand ? Depuis la parution des romans ou la diffusion de la série ?

Mon ex-copine, mais t'inquiète pas c'est pas à cause de ça qu'on n'est plus ensemble (rires), lisait déjà les bouquins et quand a été diffusée la série je lui disais comme un con "Oh, tu vas regarder Donjons et Dragons ?" et quand le premier épisode s'est terminé je me suis dit "Mon dieu c'est jouissif !" et je me suis excusé !



Tu me laisses un petit mot pour la fin ?

FUCK TRUMP.


Merci à Rou Reynolds pour son incroyable gentillesse et sa patience, merci à Enter Shikari pour ces  années passées au gré de leur son complètement fou, merci à eux d'avoir été présents par leur musique durant les moments les plus difficiles de ma vie ces dernières années. Merci à HIM MEDIA qui a permis cette rencontre.

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